Special Reports / XXIe siècle. Le monde sans la gauche ?

XXIe siècle. Le monde sans la gauche ?

Kultura Liberalna · 20 August 2013

Mesdames, Messieurs,

Théoriquement, c’est le moment de la gauche. Renaissance des extrémismes politiques, crise de la zone euro, immigration et de nouvellels inégalités – la liste des défis que les hommes politiques européens doivent affronter aujourd’hui a fait beaucoup parler du besoin d’existence de partis forts, se réclamant de la justice sociale et de l’égalité, et… Rien. Que des déceptions.

Déjà la grande crise économique, qui a commencé en 2008, devait contribuer – de l’avis de certains commentateurs – à la victoire des groupements de gauche sur le Vieux Continent. Et pendant longtemps nous n’avons entendu parler d’aucune victoire d’importance de la fraction européenne porteuse de cette idéologie. L’esprit de gauche n’a pas disparu, mais il n’est toujours pas arrivé à trouver sa nouvelle incarnation jusqu’au mois de mai 2012, lorsque François Hollande, candidat des socialistes, a remporté les élections présidentielles en France. De grandes espérances de la renaissance de la gauche et, avec elles, d’une Europe plus sociale, égalitaire et juste ont alors été ravivées. Elles ont été encouragées notamment par ceux des supporteurs de la gauche qui n’aimaient  pas les réformes manifestement libérales du gouvernement social-démocrate de Gerhard Schröder (comme, par exemple, la souplesse des formes d’emploi, la réduction des impôts pour les plus riches).

Hélas, le succès de Hollande n’a fait que confirmer, une fois de plus, la gravité de la crise dans laquelle s’enlisent les partis européens se trouvant du côté gauche de la scène politique. Tiraillés entre l’ancien programme de la sociale-démocratie et les revendications des mouvements sociaux, en réalité ils ne savent pas comment faire pour reconstruire les anciennes communautés et réaliser les aspirations des individus. Ils se mettent en quête de nouvelles voies – luttent pour les droits de l’homme et un meilleur environnement – mais ils sont toujours esclaves d’anciens principes.

En essayant de gagner de nouveaux groupes sociaux – milieux LGBT et femmes – souvent, elle perd le soutien du noyau dur de son électorat. En France, par exemple, les voix des ouvriers et des salariés du secteur tertiaire passent toujours plus souvent au Front national (extrême droite). Les mauvaises langues prétendent même que la gauche – la gauche française notamment – devient petit à petit le parti des fonctionnaires désireux uniquement de conserver leur statu quo, un parti conservateur dans son esprit.

La crise de la pratique politique ne se traduit pas cependant par une absence de réflexion sur l’état de la politique de la gauche. En France, et dans d’autres pays de l’Europe, tous les ans, paraissent des livres et ouvrages de valeur dont le principal objectif consiste en une tentative de faire renaître la gauche, de lui insuffler une nouvelle énergie et de lui faire élaborer un programme efficace. L’une de ces publications, c’est justement « Les gauches françaises 1762–2012 », Flammarion 2012, de Jacques Julliard. Publié récemment, cet ouvrage est largement discuté. Il est intéressant de remarquer que, dans cette histoire de la gauche française, l’auteur, journaliste réputé, présente – outre une analyse approfondie du matériau historique – une esquisse du programme de son renouveau.

Selon Julliard, les évolutions qu’il décrit revêtant un caractère transnational, la gauche française, mais aussi – à plus vaste échelle –européenne, doivent aujourd’hui faire face à des enjeux de taille. Car, tout aussi bien la théorie que la pratique politiques ont connu des  changements significatifs. La gauche ne peut plus, à son avis, croire en l’idée du progrès, ni penser en termes de classes sociales. Le parti qui la représente doit devenir un parti d’individus et non un conglomérat de groupes, doit miser sur l’écologie et les droits de l’homme et, seulement en second lieu, sur la redistribution et les problèmes économiques. Elle se doit de promouvoir une politique de mobilisation civique, en affrontant ainsi le problème de la participation décroissante des citoyens à la vie publique, et de tendre vers une modification en profondeur des principes de fonctionnement de la politique internationale, mettant fin au concert des puissances afin de favoriser une politique de renforcement du rôle de l’ONU.

Ces propositions peuvent-elles réellement assurer le renouveau de la gauche ? Ou bien ne feront-elles que consolider durablement son image de formation élitiste ayant perdu tout contact avec la réalité ? Dans le présent numéro de « Kultura Liberalna », nous tâchons d’analyser trois questions inspirées par les propositions de Julliard : Est-ce que, dans la politique, il n’y a vraiment plus de place pour le progressisme ? Est-ce que la politique peut être aujourd’hui changée par de grands groupes sociaux, enseignants ou salariés du secteur d’État, organisant des grèves, ou par des associations constituées ad hoc, comme on l’a vu à l’occasion des protestations contre ACTA (mouvement fort en Pologne notamment cotre une loi aux États-Unis qui aurait entravé l’usage d’Internet) ou dans le cas du mouvement Occupy ? Et enfin, est-ce que la gauche va devenir toujours plus avant-gardiste et ne se concentrer que sur les changements de mœurs et sur l’écologie ou bien elle va-t-elle se tourner vers son électorat traditionnel, plus conservateur, au nom de l’égalité économique et de la justice sociale ?

Nous avons invité à participer à la rédaction de ce numéro quatre personnalités illustres de la gauche européenne – polonaise, française et américaine – Zygmunt Bauman, sociologue mondialement connu, qui brosse une image pessimiste de l’avenir de la gauche, et Krzysztof Pomian, figure légendaire de l’Octobre polonais, qui donne une appréciation encore plus virulente de la gauche française ; Marcel Gauchet, éminent philosophe et historien français, rédacteur en chef de la revue « Le Débat », qui, lui, croit en ce renouveau de la gauche socialiste ; et Michael Kazin, rédacteur en chef de « Dissent », trimestriel américain de gauche bien connu, qui porte un regard plein d’espoir sur l’avenir des mouvements de gauche en discutant au passage avec réalisme les obstacles que la gauche doit surmonter.

Adam Puchejda, Jarosław Kuisz


 

Le sujet de la semaine présenté inaugure un cycle franco-polonais de numéros de « Kultura Liberalna », préparé en coopération avec le Centre de civilisation française et d’études francophones de Varsovie et l’European Council on Foreign Relations (le Bureau de Varsovie, Pologne).

Auteur de la conception du sujet de la semaine: Adam Puchejda.
Coopération: Jarosław Kuisz, Piotr Kieżun.
Coordination du projet, « Kultura Liberalna »: Adam Puchejda, Łukasz Pawłowski, Karolina Wigura.
Coordination du projet, Centre de civilisation française et d’études francophones de Varsovie: Aneta Bassa.
Traduction du français et de l’anglais: EUROTRAD Wojciech Gilewski.
Auteur des illustrations: Rafał Kucharczuk