Comment qualifier la gauche française ? Que deviendra-t-elle ? Avant de répondre, je vais rappeler qu’elle a subi, dans les années 70 du XXe siècle, une transformation essentielle : jusqu’alors, c’est le parti communiste qui en a été le ressort principal, depuis – ce sont les socialistes, et c’est d’eux qu’il va y être question ici.
Jacques Julliard, qui a écrit l’histoire de la gauche française depuis le XVIIIe siècle jusqu’à ce jour, constate qu’avec la chute du communisme et la révolution des mœurs, la gauche a cessé d’être ouvrière, collectiviste pour devenir individualiste – de nos jours, les droits de l’homme sont plus importants pour elle que la lutte des classes. Dans le meilleur des cas, cette constatation de Julliard ne vaut que pour seule des dimensions d’une transformation tellement profonde qu’elle remet en question le caractère de gauche des socialistes français.
Car c’est en effet pour la première fois dans l’histoire qu’un parti – qui se nomme socialiste – est un parti des privilégiés, socialement et culturellement parlant : celui des personnels de l’administration publique jouissant de la sécurité de l’emploi, des habitants de très grandes et grandes villes, des groupes dotés d’une instruction et de revenus supérieurs à la moyenne dont les membres sont préparés psychiquement, ainsi qu’en raison des compétences acquises, à la concurrence sur un marché, si ce n’est mondial, au moins largement ouvert au monde. Les ouvriers et, en règle générale, les salariés des entreprises privées, habitants dans les périphéries, les personnes de peu d’instruction n’intéressent les socialistes qu’en tant qu’objet de joutes rhétoriques. Les questions vitales pour ces catégories, telles que la sécurité et l’immigration, considérées comme politiquement incorrectes, sont délaissées à la droite et à l’extrême droite. C’est le monde à rebours.
S’agissant de ces questions, tout comme de toutes autres, les socialistes français sont partagés. Mais la tendance dominante est justement celle-ci, et elle est caractérisée par : l’étatisme et une méfiance fondamentale à l’égard de toute initiative privée, conservés par le socialisme ; le laïcisme, entendu comme antichristianisme ; l’internationalisme, ramené à la sympathie pour des « mouvements anti-impérialistes » ; et l’aspiration à la création d’« un homme nouveau », en imposant des changements de mœurs, même à l’encontre de l’opinion de la majorité. Cela peut avoir des conséquences dramatiques – seulement pour la France. Au bout de quatre ans de gouvernement Jospin, Jean-Marie Le Pen est parvenu au deuxième tour des élections présidentielles. Après le quinquennat de Hollande, il y a le risque que le Front national ne devienne l’un des principaux acteurs de la scène politique française et que sa présidente, Marine Le Pen, n’arrive, elle-aussi, au deuxième tour des présidentielles, mais avec un résultat bien meilleur que celui de son père.
La gauche française est divisée, comme je l’ai déjà dit. L’orientation productiviste, au sein du parti socialiste, est notamment en conflit avec la ligne « écologique ». En parlant de la France, il faut toujours mettre ce terme entre guillemets, car le parti qui se définit comme tel, et qui est actuellement allié au parti socialiste, s’occupe plus de combattre le capitalisme que d’œuvrer en faveur de la protection de l’environnement. Laquelle protection ne l’intéresse, en effet, que dans la mesure où elle sert à la réalisation de son objectif majeur. Ce parti essaie de faire tomber le capitalisme non pas par le biais de la révolution et de l’expropriation des capitalistes, mais en arrêtant le développement de l’industrie et – surtout – en limitant la production de l’énergie. Ce n’est donc pas un parti conservateur, comme d’aucuns pourraient le croire. C’est un parti purement et simplement réactionnaire dont le programme, s’il était mis en place, générerait un accroissement considérable et continu du chômage et une misère massive. Les socialistes ont besoin de cet allié pour gagner les élections dans les localités où le parti « écologique » jouit de l’appui d’une partie de l’électorat. Cependant, cette alliance met en même temps les partenaires dans une situation difficile, ce qu’on voit déjà dans le domaine de l’énergie nucléaire et du gaz de schiste.
* Texte original en polonais. Trad. EUROTRAD Wojciech Gilewski.