Mesdames, Messieurs !
Aujourd’hui, presque 55 pour cent de la population du monde, vit déjà dans les villes. D’ici 2050, cette proportion croîtra encore de 11 %. Le moteur du changement, c’est avant tout une urbanisation dynamique des États en voie de développement, mais il n’épargne pas non plus l’Europe occidentale. À Londres vivent aujourd’hui deux millions de gens de plus qu’il y a 25 ans. La population de Paris a doublé au cours du dernier demi-siècle en dépassant considérablement les 10 millions d’habitants.
Les plus importantes des agglomérations occidentales avaient déjà atteint de telles tailles, mais actuellement la majeure partie de leurs nouveaux habitants ne provient plus des provinces du pays mais d’autres environnements culturels. Il arrive que la composition ethnique change complètement en quelques années et, en conséquence, le caractère de quartiers tout entiers. Leurs habitants, tant les anciens que les nouveaux, n’arrivent pas à se retrouver dans la nouvelle réalité. Les prix de l’immobilier augmentent, une partie des habitants s’en vont, d’autres s’enferment dans des résidences fermées, d’autres encore finissent par se révolter. Les troubles à en banlieue parisienne, en 2005, ou à Londres, 6 ans plus tard, montrent que les villes sont aujourd’hui non seulement de gigantesques centres financiers et économiques, mais aussi des poudrières prêtes à exploser à la moindre étincelle.
Mais c’est justement dans ces colosses multiculturels que Benjamin Barber voit le salut pour la vie sociale et politique. Ce politologue américain qui, des années durant, annonçait la fin de démocraties occidentales privées d’esprit civique, scrute aujourd’hui avec optimisme l’avenir et demande qu’on confie la gouvernance du monde… à un parlement de maires. « Une diversification naturelle et l’ouverture des villes font qu’elles sont un meilleur candidat à faire face à des défis globaux », dit Barber au cours d’un entretien avec Łukasz Pawłowski.
Les thèses de Barber sont complètement refusées par Oliver Mongin qui s’entretient avec Jarosław Kuisz. Selon celui qui, pendant de longues années, a été rédacteur de la légendaire revue française « Esprit », les villes – de la même façon que les Etats – « rivalisent entre elles, et chaque président de ville ou maire laisse sa propre empreinte, spécifique, à la politique municipale ». La foi qu’on arrivera à un consensus universel est une illusion. Mongin ne partage pas non plus la conviction optimiste selon laquelle les villes redeviendraient des berceaux de la démocratie. On le voit, ne serait-ce qu’au Brésil, où le processus d’urbanisation revêt un caractère « fragmentaire et non égalitaire », ou à Singapour – « ville promouvant l’écologie, mais en même temps surveillant ses habitants ».
Or le scepticisme du publiciste français ne saurait rien changer au fait que nous voici face à la nécessité de faire ressusciter la communauté urbaine désapprise et de trouver la manière de faire traduire le bien être des villes en celui de tous leurs habitants. Le premier pas dans cette voie, c’est de s’opposer à des partages dans des espaces publics. Les villes, comme le disait Jane Jacobs, ont la capacité de donner quelque chose à chacun, mais seulement lorsqu’elles sont créées par tout le monde.
Une telle approche est toujours absente dans l’espace municipal en Pologne. D’un côté, les pouvoirs locaux s’ouvrent pour écouter la voix des habitants, de l’autre côté – l’espace public de nos villes est écartelé par de nouvelles résidences fermées. N’empêche que – comme le souligne Maria Lewicka dans son entretien avec Wojciech Kacperski – les villes polonaises, en comparaison par exemple avec celles américaines, ne subissent pas une ségrégation sociale aussi manifeste. C’est un bon point de départ pour construire un sens d’appartenance à la communauté.
Où situer les villes polonaises ? Dans le classement en fonction de la qualité de la vie dans les villes publié par la société Marcer, bien connue pour ses études, sur les 221 villes retenues, ont trouve deux villes polonaises – Varsovie, à la 79e place, et Wrocław à la 100e. C’est toujours bien peu. Il est bon cependant de ne pas oublier qu’il y a quelques années encore on considérait comme un « succès spectaculaire » d’une de nos villes le fait qu’elle ait été intégrée au… jeu de Monopoly.
Sans aucun doute, l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne ainsi que les processus de cohésion ont fait que nos villes ont commencé rapidement à ressembler à leurs homologues occidentales. Après des décennies d’arriération dans les conditions de la Pologne populaire, elles commencent enfin à être leurs égales du point de vue d’accessibilité des services ou de la qualité des infrastructures. Ces changements rapides signifient cependant que, mis à part les problèmes typiquement polonais – tels que des retards infrastructurels, la question de la reprivatisation non réglée ou la capacité de mener un dialogue avec les habitants – les hommes politiques du niveau local se heurtent à toute une gamme de nouveaux problèmes, les mêmes que ceux auxquels font déjà face les villes de l’ancienne Europe à quinze.
À l’époque où les villes occidentales cherchent à trouver un esprit de communauté perdu dans la réalité nouvelle, multiculturelle, les Polonais redécouvre en quelque sorte une manière de penser la ville en tant que communauté. Il est clair que la ville est une création inachevée qu’il faut toujours perfectionner tout en étant conscient que jamais nous ne parviendrons à un état idéal. Mais, dès aujourd’hui, il faut définir un cap.
Bonne lecture !
Rédaction
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Rez-de-chaussée :
Auteur de la conception du Sujet de la semaine : Jarosław Kuisz.
Coopération : Emilia Kaczmarek, Thomas Orchowski, Julian Kania.